samedi 17 septembre 2011

Pantanal du Nord 7/8/9 Septembre

Mercredi 7 septembre. Cuiabá.
Il est à peine sept heures du matin quand je ferme la porte de la petite chambre de la pousada ecoverde. J’ai décidé dans la nuit d’aller à Pocone, ville mythique du Manook et de la Transpantanaire. Cette route m’est déjà familière par procurations. Sa construction qui débuta en 1971 fut suspendue alors qu’elle ne parcourait qu’un tiers de l’itinéraire prévu. Censée traverser le Pantanal pour relier Pocone (Mato Grosso) à Corrumba (Mato Grosso do Sul), elle ne va guère plus loin que Porto Jofre, même pas à mi-chemin. Pourquoi ? Parce qu’une expédition de la CODEMAT, chargée de vérifier la viabilité du projet, prouva que les risques d’inondations et de répercussions néfastes sur la faune et la flore, (sans compter les habitants de la région) étaient trop importants. Une expédition a laquelle a participé un certain Patrick Manoukian plus connu dans ce blog comme l’un des membres de la tribu Manook, autrement dit mon père. Vingt et un jour de pirogue sans mettre pied à terre en profitant d’une des plus grandes inondations du Brésil. Le fleuve Cuiabá était monté à l’époque de plus de quatorze mètres !
Je suis donc en route pour la gare routière. Je passe par la Praca Republica avec ma désormais habituelle dégaine des jours de départ : un sac à l’avant, un autre sur le dos, et des rêves pleins la tête. Je passe devant une version brésilienne des vamps, et les deux petites dames m’interpellent aussitôt depuis leur petit banc sous les hauts palmiers. Intriguée par ces gesticulations accueillantes je m’approche timidement. Je suis invitée à m’asseoir avec elles en compagnie d’un sympathique dandy dont elles sont secrètement amoureuses. Elles viennent ici tous les jours commenter la vie de cette petite place entre copines. Quand elles apprennent que je n’ai pas encore mangé, elles m’envoient avec une autorité maternelle acheter un Bolo de Arroz, un de ces petits gâteaux de riz sucrés typiques de la région. Une fois certaines que je suis bien restaurée et que je ne manque de rien pour mon voyage, elles me confient au dandy pour qu’il m’accompagne jusqu’à la gare routière. L’aimable gentleman s’exécute. Quelques chansons de pop religieuse plus tard, je suis sur le quai de la gare, prête à découvrir Poconé, cette petite ville pantaneira. Et qui sait ? Il se pourrait bien que je rencontre un autre revenant des histoires Manookeenes…

J’arrive à Pocone à 11 heures. A mon grand regret, j’ai royalement manqué le défilé des cérémonies de l’Indépendance du Brésil. Les alentours de l’humble gare routière me font penser à un western-banana : les routes de terre rouges, les petites maisons colorées aux portes ouvertes, quelques pantaneiros coiffés de chapeaux de cow-boy… Tout ressemble déjà aux descriptions faites par mon père. Je demande à la petite épicerie de la gare l’adresse de l’agence touristique. On me répond qu’elle serait fermée, ce qui paraît étrange en ce jour férié prisé par les citadins pour s’aventurer dans ces alentours sauvages. On m’oriente vers une jeune fille qui propose de me réserver trois nuits dans une pousada un peu plus loin en dehors de Pocone. Le prix est alléchant, deux cents réais pour trois nuits, j’accepte. Je monte dans un taxi et me voila sur la Transpantanaire, moitié goudron, moitié terre. Je suis étonnée de voir le taxi s’engager aussitôt dans un chemin perpendiculaire. Cela fait un quart d’heure à peine que nous nous bringuebalons sur la route. Soudain, nous débouchons dans la pousada Piuval, un joli mais un peu trop touristique nid d’écotourisme. L’accueille est chaleureux et filmé. Je suis interviewée par une petite équipe de télévision tournant un reportage sur le Pantanal. (Une fois à Porto Velho j’ai reçu un mail de Bruno, un ami de Belo Horizonte, m’annonçant avec une excitation étonnée qu’il m’avait vue à la télé ! ). Je fais un rapide tour des lieux : piscine, chambres confortables et grand réfectoire climatisé, l’endroit est agréable mais peu authentique, je commence à regretter de ne pas m’être enfoncée dans une partie plus farouche du Pantanal. Je ne pouvais pas me douter que cette étape serait beaucoup plus humaine que sauvage.

A 15h30 je monte dans une jeep pour un safari collectif. Je fais alors la rencontre de Barbara une Brésilienne de Pocone qui accompagne Amanda et sa mère dans leur découverte pantaneira pour la journée. Le courant passe tout de suite bien. En rentrant, nous continuons notre longue conversation entre quelques brasses rafraîchissantes dans la piscine, puis paresseusement dans les hamacs. Mon intérêt pour Pocone l’intrigue, je lui raconte donc l’histoire de mon père et surtout lui révèle la mission que je me suis donnée : retrouver l’ancien guide de l’expédition, un homme dont le savoir et le courage pantaneiro avait beaucoup impressionné mon père a l’époque. Pour trouver cet homme, je n’ai qu’une photo où on ne voit que la moitié de son visage et son prénom : Esterlito. Il se produit alors un phénomène que ma chère Juliette appellerait « une coïncidence à la Manook ». Barbara connaît ce fameux chasseur de panthères, maintenant très âgé mais bel et bien vivant. Elle me propose alors tout naturellement de me conduire à sa rencontre et de rester chez elle dès mon retour en ville prévu pour le samedi. En les raccompagnant à l’accueil, je remarque un panneau discret sur lequel sont affichés les prix. Horreur ! Les deux cents réais sont en fait le prix d’une nuit ! Méchante surprise. Je décide d’écourter d’une nuit mon séjour.
Après dîner je monte de nouveau dans la jeep pour un safari nocturne. Un groupe de brésiliens de mon âge se place au fond de la voiture, bruyants et agités, ils me tapent vite sur les nerfs. Je me rends compte que ma tolérance en matière d’immaturité et de manque d’éducation a sévèrement chuté. Nous dérangeons quelques animaux dans leurs chasses nocturnes mais malheureusement aucune onca (panthère et terreur légendaire de la région). Je suis un peu déçue, je commence à ruminer le fait de n’être pas allée jusqu’au bout de la Transpantanaire. Pour éviter de tomber dans l’ingratitude que je retrouve souvent chez les touristes français, je décide de m’atteler à la dure tâche de décrire l’odeur du Pantanal, histoire de graver ce parfum si particulier dans ma mémoire et de me servir de ce grand attirail olfactif dont la nature m’a pourvue. Ce petit exercice se révèle extrêmement intéressant et très difficile à retranscrire et j’envie la précision des adjectifs de Suskind. Je me lance. L’air est tiède, mêlant les arômes comme dans une sorte de crème plutôt épaisse. La fragrance la plus évidente est celle de l’herbe sèche, forte et lourde. Vient ensuite une légère mais constante odeur de poussière qui assèche légèrement la gorge. En se concentrant bien on peut même percevoir un fond de fumée âcre venant d’un feu qui brûle au loin. Je sens aussi une plante plus verte qui m’est inconnue, son parfum pèse dans l’air et a quelque chose de musqué. Au fur et à mesure de notre progression je me rends compte de certains changements de directions sans même ouvrir les yeux : nous approchons d’un point d’eau, nous nous dirigeons vers un bosquet, nous roulons vers la pousada...  Malgré la discrète omniprésence de senteurs animales, je peux parfois en dissocier certaines, tantôt jacarés, oiseaux, vaches ou chevaux. Je suis impressionnée par le panel des effluves qui embaument le vent. Un véritable monde parallèle.

Jeudi 8 Septembre

Une matinale balade en bateau, dépourvue a mon grand regret du mythique Anaconda gobeur de pêcheurs, me permet enfin de découvrir le côté marécageux du Pantanal. J’admire les lentes tornades d’oiseaux enlaçant ciel et eau dans de grands ballets aériens. Du haut d’une tour d’observation j’aperçois au loin d’énormes arbres blancs. En prêtant plus attention je me rends compte que ce que je prenais pour des fleurs n’est qu’autre qu’une multitude d’oiseaux. Une véritable cathédrale de volatiles.
Je déjeune avec Paulo, un guide bougon mais adorable qui me présente a tout le monde. Se joint à nous Danielo. Cet Italien vit depuis un an au Brésil, et a vécu un peu près partout dans le monde, jonglant avec aisance entre l’italien, l’espagnol, l’anglais, le portugais et le français. Tout aussi curieux l’un que l’autre, nous passons le reste du séjour à poser d’innombrables questions sur le Pantanal et la vue des pantaneiros. Danielo est aussi le metteur en scène d’une Télé Novela improvisée lors de notre balade à cheval avec Benedicto. Un article spécial est de rigueur. Je laisse donc planer le suspense.
 
Vendredi 9 Septembre.

Il est sept heures. Je me prépare pour une petite randonnée avec Danielo et Osvaldo, le frère de Benedicto. En poussant la porte de ma chambre je découvre un Pantanal plongé dans un brouillard gris et humide. Quelques gouttes tombent ici et là sans grande conviction. C’est la première fois que je vois la pluie depuis mon départ de Sao Paulo. L’air est frais, les odeurs différentes. Il doit faire vingt-huit degrés, et le personnel de la pousada est frigorifié. Osvaldo a sorti son gros ciré. Cette relative fraîcheur me va très bien. La balade est agréable et instructive. Osvaldo connaît bien le terrain. Il est ravi de voir l’intérêt que Danielo et moi montrons pour le moindre petit insecte ou cri d’oiseau.

Je quitte donc la pousada satisfaite. Ce séjour ne m’a pas vraiment permis d’approfondir le côté sauvage du Pantanal, mais il m’a offert de belles rencontres, et de graver dans ma mémoire quelques beaux souvenirs.













2 commentaires:

  1. Beaux souvenirs de fourmis lors de mon passage en forêt....les plus méchantes ne sont pas les plus grosses

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  2. Beau blog, très très bien écrit !
    Je me suis permis de mettre un lien vers cette page sur mon propre blog à propos de l'histoire de la Transpantaneira, http://vincent-autour-du-monde.over-blog.com/article-pantanal-pousada-curicaca-jour-1-88970140.html
    A quelques semaines près, nous aurions pu nous croiser sur le rio Madeira !

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